Les Sept Visages
de Ken Wilber
Frank Visser
Les travaux et la personne de Ken Wilber ont de nombreuses facettes. J'en
compte sept en tout, les quatre premiers étant plutôt mentaux, les trois
derniers ayant une coloration spirituelle:
-
THÉORIQUE
L'essence de ses écrits est un modèle théorique de développement humain à
étapes. Il ne s'excuse pas d'être théorique, ou intellectuel. Bien au
contraire, il est considéré comme acquis dès le départ qu'il s'agit là
d'une activité significative et de valeur. Wilber entame le dialogue avec les
nombreux domaines de la science sociale, la psychologie dévelopementale,
l'anthropologie culturelle, la psychologie clinique, etcetera.
- SYNTHÉTIQUE
Cependant, dès ses premiers écrits, Wilber a essayé d'intégrer différents
modèles théoriques, en donnant à chacun sa place dans un contexte plus
large. Le but global est ici de formuler une grande Théorie du Tout, qui
couvre tous les domaines de l'expérience humaine. Son récit n'est pas
vulnérable aux accusations postmodernistes selon lesquelles les Grandes
Histoires ne seraient plus possibles de nos jours, car Wilber n'étire pas des
vérités partielles jusqu'à des proportions absolues, comme l'ont fait bien des théoriciens grandioses avant lui, mais essaye d'intégrer toutes les
vérités partielles en un grand modèle intégral.
- CRITIQUE
Parce qu'il ne perd jamais de vue le tableau d'ensemble, il est
particulièrement attentif à toute tentative de faire précisément cela:
présenter des vérités partielles (écologie, féminisme, physique, holisme)
comme la Vérité unique. Ceci explique une ligne critique forte dans ses
écrits, qui sont tous motivés par un but et un seul: voir et prendre acte
des vérités partielles comme des vérités partielles, rien de plus et rien
de moins, mais ne jamais les confondre avec la Vérité.
- POLÉMIQUE
De dernier des aspects mentaux de ses écrits est compréhensible et justifié
lorsque de nombreuses années de rédaction théorique et critique
disciplinée ne produisent pas d'effet dans la culture ou sous-culture dans
son ensemble, qui semble être balayée soit par le rationalisme soit par le
régressionisme. Un peu de polémique peut donc susciter les discussions et
attirer l'attention sur les vraies questions. Certains critiques ont trouvé
à redire aux notes de bas de page de Sexe, Ecologie, Spiritualité. D'autres
les ont bien apprécié.
- PANDIT
Le travail intellectuel de Wilber est inspiré par une vue spirituelle de la
vie. C'est comme cela qu'il aime se décrire: comme un pandit moderne,
défendant la perspective spirituelle dans une culture massivement
sécularisée. Il est de ce fait essentiellement un philosophe religieux. Il a
décrit à une occasion son but comme: légitimer l'Esprit dans le monde
moderne. Plus que tout autre philosophe religieusement incliné, Wilber est
attentif à ce que la science peut contribuer, mais finalement ne dépend pas
de la science. En fin de compte, l'Esprit est la seule preuve de l'Esprit.
- GUIDE
Bien qu'il se défende de vouloir être considéré comme un gourou, certains
de ses écrits ont d'une certaine façon une qualité d'enseignement ou même
de guide. Les instructions indicatives des traditions non-dualistes deviennent
particulièrement utiles lorsque Wilber les formule (si vous les comparez avec
ce que les enseignants spirituels contemporains sont capables d'accomplir en
communiquant le Dharma).
- MYSTIQUE
Les aspects les plus profondément spirituels des écrits de Wilber sont
révélés lorsqu'il décrit simplement ses expériences du divin.
Particulièrement dans One Taste, cet aspect devient tout à fait apparent. Il
n'avait fait aucun effort pour souligner cet aspect dans ses autres écrits,
et à bon droit car ils ont besoin de tenir par eux-mêmes. Mais le fait qu'il
vit ce qu'il écrit devrait servir d'exemple aux nombreux lecteurs de ses
ouvrages qui se demandent: le développement spirituel parait attirant, mais
cela peut-il aussi devenir une réalité dans ma propre vie?
(c) 1998 Frank Visser
Traduit par Eric
de Rochefort
Adapted from: Ken Wilber: Denken als Passie [Ken Wilber: Thought as Passion], Rotterdam,
Lemniscaat, 2001.
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